L’ABBE PERROT, UN TEMOIN POUR NOTRE TEMPS
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Le 12 décembre prochain sera commémoré le triste 70ème anniversaire de l'assassinat d'un prêtre qui a beaucoup oeuvré pour la cause bretonne : l'abbé Yann-Vari Perrot. L'occasion pour certains d'aborder sa vie, soit d'une manière erronée, soit d'une manière militante (pour ou contre). AR GEDOUR a souhaité publier ici une vision qui n'est que peu ou pas abordée : sa dimension sacerdotale, qui permet de mieux appréhender sa vie et ses choix, qui donnent parfois une terrible impression d'actualité. Au-delà de la propagande effectuée par certains à son sujet, il nous importe d'éclairer les Bretons sur un sujet somme toute méconnu. Citons l'un des passages de cette chronique-feuilleton : « les historiens, à de rares exceptions, qui se sont penchés sur sa vie se sont davantage intéressés au militant breton (l’enfermant dans un cadre politico-historique) qu’à « l’homme de Dieu ». Le temps est venu de lire sa vie, de comprendre son oeuvre, son apostolat, son patriotisme avec une lecture chrétienne pour remettre au premier plan le prêtre, le « soldat du Christ ». De même, prétendre honorer l’abbé Perrot en ne prenant que le « Breiz » de sa devise, et ignorer « Feiz », revient à ne pas comprendre le sens de ses combats, à dénaturer son œuvre, son patriotisme, à le trahir. »
Afin d'éviter une publication parmi d'autres en décembre, nous vous proposons de suivre cette chronique en plusieurs parties qui seront publiées sur plusieurs jours à partir d'aujourd'hui. Cet article a été réalisé par l'un de nos collaborateurs à partir des archives personnelles de l'abbé Perrot, dont de nombreuses correspondances privées. Parmi tous les documents auxquels nous avons eu accès, nous vous en proposons quelques inédits en exclusivité sur AR GEDOUR. Si vous pouvez -et nous vous en remercions - évidemment citer les articles (en mentionnant la source AR GEDOUR) de manière partielle (correspondant à un paragraphe de chaque article) sur vos propres blogs et sites, nous précisons ici qu'aucune utilisation du présent texte et des documents iconographiques ne peut-être faite sans l’accord écrit de l’auteur et du site « Ar Gedour ».
L’ABBE PERROT, UN TEMOIN POUR NOTRE TEMPS
par Youenn Caouissin
Quand on évoque l’abbé Perrot, que ce soit le fait d historiens, ou de personnes qui l’honorent, c’est d’avantage pour parler du militant nationaliste breton que pour la dimension de prêtre qui, elle, semble être oubliée. Brandie comme une « icône politique », sa cause s’en trouve desservie. Or, on ne peut comprendre sa vie, son sacerdoce, son œuvre, ses combats, son sacrifice que si on en a une lecture chrétienne. Il importe donc de replacer au premier plan le prêtre qu’il fût avant tout, dans le même ordre que les deux mots clés de sa devise « Feiz ha Breiz », et de l’inscription gravée sur la croix celtique de sa tombe « Doue ha Breiz ».
Il y a 70 ans, le 12 décembre 1943, l’abbé Yann-Vari Perrot, recteur de Scrignac (Monts d’Arrée) était assassiné. Prêtre hors du commun au charisme intense, il est incontestablement la plus grande figure bretonne du 20ème siècle.
Il est ordonné prêtre le 25 juillet 1903 en la cathédrale Saint Corentin de Quimper. Pour cette occasion, il composera le cantique « Beleg da Viken » ( Prêtre pour toujours ») qui sera chanté pour toutes les ordinations jusqu’aux années 1950. L’abbé Perrot a une dévotion particulière pour saint Corentin ; son sacerdoce commence sous sa protection, et quarante ans plus tard s’achève le jour de sa fête.
Immédiatement après son ordination, il se bat sur deux fronts : la défense de la foi et la défense de l’identité bretonne qu’incarne si bien sa devise « Feiz ha Breiz ». En ce début du 20ème siècle, les gouvernements sont profondément anticléricaux, et entendent de nouveau déposséder l’Eglise de ses biens, de ses œuvres sociales, de son droit à enseigner. Ces gouvernements sont ultra-jacobins et livrent une guerre ouverte à toutes expressions de l’identité bretonne.
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Dans son enfance, ce petit Léonard a été profondément meurtri de se voir interdire de parler breton à l’école. Cette blessure va orienter tout son combat pour la langue de son pays. En 1905, il fonde l’association « Bleun-Brug » (Fleur de Bruyère) : manifestation festive annuelle, que nous pouvons considérer comme l’ancêtre de nos actuels fêtes et festivals bretons. Mais le Bleun-Brug se veut être bien d’avantage qu’une fête : être la « colonne vertébrale » d’un renouveau spirituel et culturel breton, pour préparer sur des bases solides l’avenir de la Bretagne dans une société en pleine mutation.
La revue « Feiz ha Breiz », avec le Bleun-Brug seront les « outils » de ce qui déjà à l’époque correspondait aux besoins d’une « nouvelle évangélisation ». Ses statuts définissent donc bien ses objectifs, cependant il n’échappe pas à l’abbé Perrot que la défense des « Droits Historiques » de la Bretagne ne peut être ignorée. Certains de ses confrères lui reprocheront de « faire de la politique » en mélangeant religion, linguistique, culture et nationalisme, et de négliger ainsi son ministère. Ces accusations infondées et peu charitables le révoltent, car il se définit comme « soldat du Christ avant tout ». Quant à son militantisme breton, il le justifie ainsi : « J’essaie d’orienter toute mon activité bretonne d’après les Lumineuses Encycliques pontificales. Car si comme prêtre je dois défendre les droits et les libertés de l’Eglise, comme Breton, je dois défendre avec non-moins d’âpreté les droits et les libertés de la Bretagne »...
Il éprouve une grande joie lorsqu’il reçoit, en mai 1920, pour lui et ses collaborateurs, la bénédiction du Pape Benoît XV pour son œuvre du Bleun-Brug.
CONTRE TOUTES LES IDEOLOGIES :
«Puissiez-vous voir le recul de cette peste de l’indifférence religieuse et du laïcisme dont je constate les ravages effroyables tous les jours. Puissiez-vous voir les petits Bretons élevés, non suivant le plan d’un ministre athée de l’Instruction publique, mais suivant le plan de Dieu »
L’abbé Perrot est de ceux qui perçoivent toute la perversité de l’idéologie communiste, et la dénonce comme l’ennemi des âmes et des patries. De même, les Francs-Maçons, les Libres-Penseurs qui sévissent au sein des gouvernements et inspirent des lois anti-chrétiennes, anti-bretonnes, ne trouvent pas grâce à ses yeux. Il y voit la continuité de l’idéologie révolutionnaire. Il n’a de cesse de mettre en garde les Bretons contre ce qu’il désigne comme « deux poisons : la francisation et la laïcité » qui prennent leur source dans cette idéologie :« Défiez-vous de la peste du laïcisme qui a tué la France et a déjà empoisonné une bonne partie de la Bretagne. Toutes voies autres que la voie chrétienne ne peuvent conduire qu’à la perdition » (Lettre à un leader nationaliste breton.1941).
Dans ses homélies de messes de mariages de jeunes Bretons s’investissant dans la défense de l’identité bretonne, il leur dit : «Puissiez-vous voir le recul de cette peste de l’indifférence religieuse et du laïcisme dont je constate les ravages effroyables tous les jours. Puissiez-vous voir les petits Bretons élevés, non suivant le plan d’un ministre athée de l’Instruction publique, mais suivant le plan de Dieu » (3 /9/1942). On dirait que cela a été écrit en… 2013 ! En effet, il s’inquiétait beaucoup pour l’avenir de la jeunesse, d’où sa continuelle recommandation : « Soyez prudents, veillez au grain, vous êtes pères et mères de famille et vous êtes l’avenir de la Bretagne ».
L’abbé Perrot était en avance sur notre temps où la laïcité dite « à la française » s’affiche en nouvelle religion qui exclut Dieu de la société et nie les racines chrétiennes de l’Europe, pour lui en substituer d’autres.. Les papes Jean-Paul II et Benoît XVI, dans la continuité de leurs prédécesseurs dénonceront cette laïcité qui est, hier comme aujourd'hui, une arme de guerre contre l’Eglise catholique. Dénoncer et combattre les doctrines destructrices de l’ordre chrétien, c’est-à-dire de la loi divine, lui attire bien des ennemis, qui sauront un jour s’en souvenir...
Quant à la francisation, elle est aujourd'hui achevée. Certes, l’identité bretonne existe, mais davantage à travers l’éphémère du festif ou le culturel, mais un culturel trop souvent galvaudé…
FEIZ ET BREIZ, LES DEUX IDENTITES DE LA BRETAGNE
Sa devise « Feiz ha Breiz » (Foi et Bretagne)résume bien son souci de défendre les deux identités de la Bretagne, la chrétienne et la bretonne. Pour lui, elles sont « comme sœurs ». Ainsi, prétendre construire l’avenir de la Bretagne en l’amputant de ses racines chrétiennes est une trahison. Il le dit avec l’affection d’un père à certains leaders nationalistes qui, sans toutefois nier ces racines, se refusent à les prendre en compte, affichent un néo-paganisme déniché dans le « Panthéon celtico-germanique ». Cela irrite fort l’abbé Perrot, car il décrédibilise le « Mouvement breton » et son action propre, d’où ses mises en garde contre les dérives d’une forme de nationalisme que lui-même désapprouve : « Vouloir faire de la Bretagne une nation sans foi est un crime contre la Lumière ».
A ceux qui protestent que l’on peut fort bien travailler pour la Bretagne, sans pour autant croire ou appartenir à l’Eglise catholique - ce que ne nie pas l’abbé Perrot- il rétorque « que les œuvres sans la foi, revenait à bâtir sur du sable, rendant ces œuvres éphémères et sujettes à toutes les compromissions de circonstance, mieux valait « bâtir la Maison Bretagne sur un roc solide comme le dur granit breton » et d’ajouter : « De tout temps à « Feiz ha Breiz » notre programme a été double comme les Tables de la Loi : nos revendications religieuses sur la première, mais nos revendications bretonnes sur la seconde, car nous avons pensé que la Patrie Céleste ne devait pas non plus nous faire oublier la Patrie terrestre ». Prenant pour exemple la France, il a ce jugement sévère : « Si la France est tombée si bas, pour peut-être ne plus se relever, c’est parce qu’en elle toutes les vertus chrétiennes se sont éteintes les unes après les autres. Si on veut restaurer la Bretagne, qu’on la construise sur la pierre angulaire qu’est le Christ : rien de durable ne se fera autrement » Ou encore, « Ne croyez-vous pas, Bretons, que votre Bretagne serait totalement différente de la Bretagne de vos Pères si la lumière de la foi ne rayonnait plus comme un astre solaire au-dessus de ses cités et de ses campagnes ? »
Aujourd'hui, un tel constat, au vu de l’état de déliquescence de la France (et de toute l’Europe), est terriblement d’actualité. Mais la question est : un tel idéal est-il encore audible dans une Bretagne qui n’échappe pas au consumérisme destructeur, au nivellement des peuples et des pensées, à l’idéologie du « Tout se vaut » et au fait qu’il n’y pas de Vérité ? « Nous ne pouvons concevoir une Bretagne qui ne serait pas chrétienne, qui ne serait pas bretonne car toutes autres voies ne seraient que des impasses. Un pays a aussi un corps et une âme. Le corps de la Bretagne, c’est sa terre, son peuple, son histoire, ses traditions, ses paysages. L’âme de la Bretagne c’est sa foi, et c’est cela qui est premier. Il faudra s’en souvenir le jour où le foisonnement de ses activités culturelles semblera reléguer au second plan le combat pour la foi ; nous avons surtout à restaurer en Bretagne une grande tradition spirituelle »
Des propos qui donnent aujourd'hui à réfléchir dans une Bretagne où le festif et les activités culturelles font peu de cas de la dimension religieuse...
A suivre demain : L'abbé Perrot et la langue bretonne
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SOURCES ET NOTES :
Photo Abbé Perrot ci-dessus : 1935 - Ronan Caerleon / Archives Ar Gedour - Tous droits réservés
A nos lecteurs qui souhaiteraient des précisions sur les sources des citations : elles n'ont volontairement pas été référencées sur ce blog pour ne pas indisposer certains descendants des destinataires de certaines correspondances. Elles sont, sauf indication contraire, issues des archives de l'abbé Perrot et ont pour but d'illustrer le propos de cet article.
Il est évident que cet hommage à l’abbé Perrot n’a aucunement la prétention de retracer toute sa vie, toute son œuvre, ni de relater toutes ses pensées. Il se veut être seulement un « survol » d’une vie extrêmement riche au service de la Foi et de la Bretagne, en espérant que cette évocation suscite un intérêt qui ne serait que justice.
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